La génération de Gildas Arzel, grandie dans les années 60, a été soumise à un tourbillon musical inédit. Entre le yéyé des copains, le musette pot-au-feu des parents et le miel du rock anglo-saxon déversé sur nos côtes comme un plan Marshall musical, le choix était vaste… Sans oublier la vague folk qui offrit à découvrir des courants musicaux indigènes qui méritaient qu’on s’y intéressât autant qu’à ceux que nous importions alors en masse (Gabriel Yacoub, proche de Gildas, et acteur majeur de cette époque, figure d’ailleurs dans cet album). Et comme si cet étalage de genres à découvrir ne suffisait pas, Gildas, trimballé aux quatre coins de la planète en suivant le parcours professionnel du paternel, fut exposé aux échos musicaux souvent pimentés des pays d’adoption, du Pakistan à La Réunion. Ajoutez à cela la musique celtique, biberonnée sans même s’en rendre compte.
Quand on s’appelle Gildas Arzel, un nom qui sonne comme un écho de bombarde dans la brume marine, qu’on accorde sa guitare en Dadgad avant de savoir écrire, la musique celtique ne s’apprend même pas, elle se récite. Et puis il y a eu le blues et ses dérivés…
Pas un artiste de la scène musicale contemporaine ne peut prétendre, sauf à pratiquer la musique baroque ou la harpe bantoue, avoir été épargné par la force de frappe des médias américains et leurs lots d’affriolantes gourmandises. Minot, Gildas Arzel découvrit un album de John Fogerty, libéré des contingences communautaires de Creedence Clearwater, et qui avait accouché d’un projet inclassable, les Blue Ridge Rangers, réunissant les titres qui l’avaient touché lorsqu’il était lui-même en culotte courte… Et l’on retrouvait là blues, rhythm’n’blues, gospel, bluegrass, tex-mex, swing, country, cajun, old-time, autant de genres qui traînent au gré des plages de cet album. Ces musiques, développées dans un périmètre relativement étroit, courant grossièrement du sud des Appalaches au Delta du Mississippi, ont changé la face sonore de la planète. On peut le regretter, et certains, étouffés de principes, s’obstinent à snober la note bleue comme on snobe un clochard en sortie de messe.
Mais on ne peut pas le nier. Gildas, comme Fogerty en son temps, a voulu faire découvrir ces styles, tous influencés par le blues, qui ont modelé la musique d’aujourd’hui. Il y a donc dans cet album une vocation de retour didactique aux sources, réalisé avec l’espoir secret de faire découvrir des aînés parfois oubliés, de Blind Lemon Jefferson et Ralph Stanley, Fats Domino à Hank Williams. Et bien d’autres.
De cette boîte de pandore largement ouverte, Gildas s’est librement inspiré, dans sa manière de chanter comme son jeu de guitare, qui firent les beaux jours de Canada et de sa carrière solo. Puis en tant qu’auteur, compositeur et musicien pour tous les artistes avec lesquels il a collaboré depuis plus de vingt ans (Hallyday, Goldman, Dan ar Braz, Garou, Nanette Workman, J.F. Lalanne, Roch Voisine, Maurane, Céline Dion, Noah, et tant d’autres). Depuis plusieurs années, il souhaitait réaliser, entre deux oeuvres plus personnelles, cet album de reprises. Il réunit deux collègues et amis de longue date, chacun expert dans son domaine : l’ingénieur du son Gildas Lointier et le musicien Christian Séguret.
Ensemble, ils entamèrent un travail qu’ils espéraient boucler en quelques mois mais qui, vu les défis qu’ils s’imposèrent et les emplois du temps de chacun, s’étala sur plusieurs années. C’est donc un album fait main et en famille que vous tenez, réalisé dans le studio de Gildas posé dans les murs centenaires de sa maison de Greneville (d’où le titre de cet album), les intervenants étant tous des musiciens proches, amis de Gildas et de Christian, la « famille de coeur et de sang » comme dit Gildas lui-même. Le résultat est entre vos mains.
Orville Martin